Un matin d’octobre, les marchés s’agitent : la Banque centrale européenne annonce une hausse de ses taux. En quelques heures, le crédit immobilier se tend, les bourses tanguent, les ménages s’inquiètent de leur pouvoir d’achat. Derrière ces secousses, une interrogation gronde : la politique monétaire, censée piloter l’économie, sert-elle toujours les mêmes intérêts ? Ou bien navigue-t-elle à vue, au gré des crises et des pressions politiques ?
Stabilité des prix, croissance, emploi : les objectifs affichés de la politique monétaire semblent changer de priorité à chaque soubresaut économique. Pourtant, derrière la façade technique et les discours calibrés, un but plus complexe se dessine, souvent éclipsé par la cacophonie des débats publics.
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Plan de l'article
- Pourquoi la stabilité des prix n’est pas le seul enjeu de la politique monétaire
- Comment les banques centrales arbitrent entre croissance, emploi et inflation
- Face aux crises : la politique monétaire à l’épreuve de ses contradictions
- Vers de nouveaux objectifs ? Les débats actuels sur l’avenir de la politique monétaire
Pourquoi la stabilité des prix n’est pas le seul enjeu de la politique monétaire
Réduire la politique monétaire à la seule lutte contre l’inflation, c’est regarder la partie émergée de l’iceberg. Certes, la banque centrale européenne martèle son objectif : contenir la hausse des prix autour de 2 %. Mais la réalité exige des arbitrages multiples. La masse monétaire, la relance de la croissance ou la défense de l’emploi s’invitent régulièrement à la table des priorités.
Dans la zone euro, le taux d’inflation “idéal” est devenu une sorte de boussole, mais dans les faits, la politique monétaire jongle avec des outils variés :
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- Les taux directeurs qui, à la hausse ou à la baisse, dictent l’humeur du crédit et de la consommation.
- La surveillance de la croissance de la masse monétaire, pour éviter les excès spéculatifs.
- Des réponses rapides aux chocs économiques, afin d’éviter l’envolée du chômage.
La fameuse courbe de Phillips illustre ce jeu d’équilibriste : faire baisser le chômage augmente souvent l’inflation. Inversement, contenir les prix risque de brider la reprise. En 2012, alors que la zone euro menaçait de sombrer dans la récession, la BCE a desserré la vis monétaire, acceptant une inflation temporairement supérieure à la cible pour éviter un effondrement du marché du travail. À l’inverse, en 2022, face à une flambée des prix de l’énergie, la priorité a basculé : la lutte contre l’inflation est redevenue le mantra, quitte à ralentir la croissance.
Comment les banques centrales arbitrent entre croissance, emploi et inflation
Le levier central des banques centrales reste la gestion des taux directeurs. En modulant ces taux, elles orchestrent le coût du crédit pour les ménages et les entreprises. Hausse des taux : le crédit se raréfie, la masse monétaire se contracte, l’inflation recule. Baisse des taux : l’économie respire, mais le risque d’une surchauffe n’est jamais loin.
En 2015, la BCE surprend en instaurant des taux négatifs. Les banques, réticentes à payer pour déposer leur argent, se mettent à prêter davantage. Résultat : un boom du crédit immobilier en Allemagne et en France. Mais, comme le raconte un dirigeant de PME lyonnaise, « les taux bas ont poussé des entreprises fragiles à s’endetter massivement. Résultat, la moindre remontée des taux a fragilisé tout le tissu local ».
Autre instrument, les opérations d’open market : la banque centrale injecte ou retire des liquidités en achetant ou vendant des titres sur le marché interbancaire. La fixation des réserves obligatoires complète l’arsenal, contraignant les banques à garder une fraction de leurs dépôts en coffre, limitant ainsi leur capacité à prêter.
- Le canal des taux d’intérêt façonne les anticipations, stimule ou freine la consommation et l’investissement.
- Le taux d’intérêt réel, corrigé de l’inflation, guide les choix d’épargne ou d’endettement, des particuliers comme des entreprises.
La courbe de Phillips n’a rien perdu de sa pertinence. Dans les années 2000, la Réserve fédérale américaine a choisi de soutenir l’emploi au détriment d’une inflation modérée, acceptant un retour de la hausse des prix pour éviter une montée du chômage post-crise. Chaque décision s’appuie sur un dosage subtil, jamais dénué de conséquences sociales ou politiques.
Face aux crises : la politique monétaire à l’épreuve de ses contradictions
Les crises révèlent l’ADN paradoxal de la politique monétaire. Quand la tempête financière de 2008 frappe, la banque centrale américaine et la banque centrale européenne sortent l’artillerie lourde : taux directeurs proches de zéro, rachats massifs d’actifs, création monétaire à haute dose. Le quantitative easing devient la nouvelle norme pour éviter la déflation et sauver le système.
Mais l’argent injecté ne ruisselle pas toujours là où on l’attend. Un exemple frappant : en Italie, malgré l’afflux de liquidités, de nombreuses PME n’ont pas pu obtenir de crédits, leur profil jugé trop risqué par les banques. « On a vu les marchés financiers s’envoler, mais l’économie réelle, elle, piétinait », confie un économiste de la Banque d’Italie.
Le piège de la trappe à liquidité se referme : même avec des taux nuls, l’investissement privé reste timide, la confiance manque. Pour contrer ce blocage, les banques centrales innovent :
- Le credit easing desserre l’accès au crédit pour les banques régionales et spécialisées.
- Le forward guidance permet d’ancrer les anticipations en dévoilant la trajectoire prévue des taux à moyen terme.
Après la pandémie, la donne change brutalement. L’inflation explose, nourrie par les pénuries et les tensions géopolitiques. Les banques centrales, piégées dans leur propre logique, durcissent le ton : relèvement des taux, contraction des bilans. La zone euro, dépendante de ses importations énergétiques, subit de plein fouet ce retour de bâton. Dilemme permanent : casser l’inflation ou préserver la reprise ? La politique monétaire se heurte à ses propres contradictions, révélant l’impossibilité d’une solution unique.
Vers de nouveaux objectifs ? Les débats actuels sur l’avenir de la politique monétaire
Les certitudes d’hier vacillent. La politique monétaire se retrouve sommée de sortir de sa tour d’ivoire. Les défis sociaux et environnementaux forcent les banques centrales à repenser leur mandat. À la BCE comme à la Fed, la question n’est plus seulement de cibler l’inflation, mais aussi de soutenir la croissance, de réduire les inégalités et d’accélérer la transition écologique.
En témoignent les débats récents au Parlement européen : faut-il intégrer des critères climatiques dans les achats d’actifs de la BCE ? Selon une étude de l’OFCE, réorienter 15 % des rachats d’actifs vers des obligations vertes permettrait d’abaisser de 0,3 point la trajectoire d’émissions de CO2 à l’horizon 2030. D’autres voix plaident pour un ajustement plus actif du taux de change, longtemps tabou, afin de soutenir la compétitivité face aux chocs extérieurs.
- La prise en compte du climat bouleverse les habitudes : certains économistes réclament une “taxonomie verte” pour guider les achats de la BCE.
- La coordination monétaire et budgétaire revient sur le devant de la scène, la France s’en faisant régulièrement l’avocate.
Quel cap choisir ? Maintenir la prééminence de la stabilité des prix, ou élargir le spectre des objectifs politiques ? Les réponses façonneront le visage de l’économie européenne pour la prochaine décennie. Une chose est sûre : la politique monétaire ne peut plus se contenter de simples formules. Elle devra, bon gré mal gré, épouser la complexité du monde réel.